Les informations fallacieuses, moyen de domination

Par Anneliese Fikentscher et Andreas Neumann, de la Neue Rheinische Zeitung.*

Désolés : nous n’avons plus de soucis à nous faire en ce qui concerne les informations fallacieuses, es fake news comme on les appelle récemment et couramment. Nous pouvons dès lors arrêter immédiatement de traiter ce sujet. Cologne en tout cas est une oasis de vérité : « nous sommes tenus à la vérité », c’est ce qu’a déclaré le rédacteur en chef du Kölner Stadt-Anzeiger, le journal le plus vendu à Cologne.

Et le code du Conseil allemand de la Presse garantit que « le respect de la vérité, de la dignité humaine et l’information du public sont les premiers devoirs de la presse… ». Nous pouvons donc dormir sur nos deux oreilles, il n’y a pas de place pour les informations fallacieuses.

Mais nous devons remercier le Conseil allemand de la presse, qui nous dévoile lui-même que tout cela est fallacieux. Nous le citons : « Exiger que l’on ne présente comme des faits que des vérités définitivement établies, cela dépasserait les capacités de la presse, ce qui serait aberrant » (fin de citation). Cela, nous le savons depuis le 8 mars 2006. Cette phrase est savoureuse, puisqu’elle transforme l’affirmation du code de conduite en son contraire. Comment en est-on arrivé là ?

C’était en 2005, une vidéo avait fait son apparition, les médias l’ont relayé et fait leurs commentaires. Ils nous ont expliqués ce que l’on pouvait voir dans cette vidéo, où et quand cela se passait. Pour beaucoup d’entre eux, le lieu de l’action était le point A, pour d’autres le point B, à 100 km de là. Même divergence quant au moment incriminé, avec un écart de quatre mois. A l’évidence, tout ceci est contradictoire : un même fait ne peut avoir lieu à deux endroits différents, à deux moments différents. Nous en avons saisi le Conseil supérieur de la presse, comme du reste d’autres incohérences.

De quoi s’agissait-il ? De la vidéo dite de Srebrenica que, dans le cadre du procès intenté à l’ex-président de Yougoslavie Slobodan Milosevic, l’accusation avait sortie par surprise en plein réquisitoire. Cette vidéo fit le tour du monde comme une preuve irréfutable de la responsabilité de Milosevic dans le « massacre de Srebrenica ».

Autre citation du Conseil allemand de la presse : « Dans un contexte global, les journalistes ne peuvent être tenus d’émettre des réserves quant à un événement très vraisemblable : cela signifierait que dorénavant, seules des vérités définitivement établies pourraient être présentées comme des faits. Cela serait aberrant car cela dépasserait les capacités journalistiques… Au total, nous n’avons pas pu constater d’atteintes aux principes de la publication. Vos plaintes sont donc non fondées. » Et qui présidait à ce moment le comité des plaintes et recours au Conseil allemand de la presse ? Manfred Protze, porte-parole de l’union des journalistes au sein du syndicat DGB.

Cela nous a ouvert les yeux et nous osons aujourd’hui affirmer que la grande majorité des médias sont des instruments de domination. Leur objectif est de diffuser des informations fallacieuses pour assurer le pouvoir de l’empire. Les médias dominants sont à son service. Quelques exemples :

1.       Trump / Bannon

Un petit extrait  d’un discours :

« Les USA ont connu [juste après l’investiture de Trump comme président] la plus grande journée de protestation de leur histoire… Cela nous donne de l’espoir… C’est Stefan Kornelius qui parle de cette résistance dans la Süddeutsche Zeitung. Les soupçons de fascisme aux USA ont de l’avenir… Jetons un coup d’œil sur le cabinet de l’horreur de Trump : outre des représentants des super-riches et des militaires, on y trouve des tenants de l’apocalypse comme Stephen Bannon … Dans cinq à dix ans, nous aurons une guerre dans la mer de Chine contre la puissance nucléaire qu’est la Chine. C’est ce que dit… le plus proche conseiller de Trump [Stephen Bannon]. Il est là sur la même longueur d’onde que sa grande gueule de patron, Trump, qui, en pleine campagne électorale, a répondu à une question faussement naïve : « A quoi sert d’avoir des armes nucléaires si nous ne les utilisons pas ? »

On a entendu cela en février 2017 à Münich, au moment de la Conférence sur la sécurité. Où ? Dans le cadre de la conférence ? Non ! Dans un média dominant ? Non ! De la bouche d’un des porte-paroles du mouvement pacifiste, et non des moindres puisqu’il s’agissait d’un des principaux organisateurs de la conférence.

Cela vous étonne ? Ou vous pensez que ces paroles ont leur justification ? Sans entrer dans les détails, ce n’est pas le moment, la déclaration de Bannon a été sortie de son contexte. Et on n’a aucune preuve des propos de Trump. Pourtant, tout cela a été publié, même par un quotidien marxiste.

Il faut bien constater qu’une bonne part des médias « de gauche » ne se distinguent plus guère des médias dominants, ils en sont devenus une composante.

Le 18 août 2017, le chef de la stratégie de Trump, le nationaliste conservateur Stephen Bannon a quitté la Maison-Blanche. Un jour avant, on lisait dans le New York Times, dans un article consacré à Bannon :

« De l’Afghanistan et la Corée du nord à la Syrie et au Venezuela, monsieur Bannon a pris position contre les menaces militaires ou l’envoi de troupes américaines pour prendre part à des conflits extérieurs (…) Le principal adversaire de Bannon à la Maison-Blanche était le général McMaster (représentant de la CFR), le chef de file de ce que Bannon appelait « le projet global d’empire », un consensus supra-politique qui met en exergue l’engagement américain actif dans le monde entier : une philosophie que Bannon rejetait. »

Le retrait de Bannon a été salué par tous les médias acquis aux idées du CFR de part et d’autre de l’Atlantique. Mais au fait, qu’est-ce que ce CFR ? C’est le « Council on Foreign Relations », un office décisionnel important de l’empire US.

Le mérite d’avoir dévoilé tout cela revient au « Swiss Propagande Research », un groupe de recherche académique qui se concentre sur la propagande géopolitique dans les médias suisses et internationaux, suite au retrait de Stephen Bannon que la gauche taxe volontiers de « droitier » (au sens de nazi ). Et rendez-vous compte : le Journal de Bâle, en novembre 2016 déjà, avait déjà fait état du « Swiss Propagande Research » dans un article « Fake-News made in Switzerland ». Swiss Propaganda Research ne fait que répondre à la question de savoir pourquoi la président Trump est l’objet d’attaque comme aucun autre président US ne l’a été : il n’est pas soutenu par le CFR.

2.       Opération « 11 septembre »

Un des cas les plus flagrants de diffusion de Fake-News est l’opération « 11 septembre », liée à l’attentat de cette date, un événement catastrophique mais aussi catalyseur, pour reprendre les termes du Project for a New American Century (PNAC)… une sorte de nouveau Pearl Harbor ». Cela nous a projetés dans la « guerre contre le terrorisme », qui a déjà coûté plus d’un million de vies humaines. C’est un cas extrême comparable en effet à Pearl Harbor qui servit de prétexte aux USA pour entrer dans la deuxième guerre mondiale.

Ce que les médias nous ont proposé est très particulier. Ils nous ont vendus des fables en nous les présentant comme des faits. Ils ont fait état de deux avions qui ont percuté deux gratte-ciels et en ont fait s’écrouler trois (et non plus deux) comme des châteaux de cartes, un miracle de la nature qui défie les lois de la physique. Ajoutes-y un autre miracle, de criminologie celui-là : le jour même du crime, on connaît l’auteur. C’est quelqu’un qui, du fond d’un grotte en Afghanistan, a télécommandé l’opération exécutée par 19 kamikazes. Raison suffisante pour les USA fassent la guerre à l’Afghanistan. Voilà pour la logique de l’histoire. Un miracle de plus : le président Bush a – personne ne peut le réfuter – suivi le deuxième impact en direct à la télévision. Le ministre nazi de la propagande Joseph Goebbels a dit : « plus le mensonge est gros et plus on le répète, plus il passe pour une vérité ». Cela y ressemble malheureusement fort.

Même dans les milieux de la gauche et les milieux pacifistes, l’opération « 11 septembre » est un tabou. Toute personne convaincue d’avoir ajouté foi et ou répandu ces bobards réagit de façon maladive quand on l’en convainc. Personne ne veut admettre s’être rendu complice d’un système criminel qui opère par mensonges et mises en scène.

3.       Hitler

Revenons à notre oasis de vérité, Cologne. Un lieu privilégié pour la diffusion d’informations fallacieuses, c’est Wikipedia, tout comme Facebook et d’autres réseaux dits « sociaux ». On peut y lire p.ex. « l’historien américain Henry Ashby constate que Schröder n’était que le partenaire d’une banque de province de taille moyenne qui ne jouait pas un grand rôle dans l’économie. Il n’était que le maillon d’une chaîne de relation humaines aléatoires, un figurant ». C’est ce que nous apprend Wikpedia à propos d’une réunion du 4 janvier 1933, dans la villa Schröder, dans la banlieue verte de Cologne, réunion à laquelle ont participé Hitler et von Papen. Cologne peut se rassurer : l’homme qui avait arrangé la réunion, était un homme sans importance.

Mais quel genre de réunion était-ce donc ? On y a posé les jalons pour Hitler et la guerre. Cette réunion fut décisive pour la prise du pouvoir par Hitler le 30 janvier 1933. Le banquier Schröder, c’est ce que rapporte l’histoire britannique Anthony Sutton dans « Wall Street et l’ascension d’Hitler », était la personne de contact avec le trust US ITT. C’est ce baron von Schröder qui, représentant les intérêts d’ITT en Allemagne, a fait parvenir des capitaux ITT à la SS.

Les médias de l’empire ne voient pas d’intérêt, même aujourd’hui, à relever qu’Hitler était le produit du Capital, non seulement allemand mais aussi international. Le rôle de e BRI (Banque des Règlements Internationaux), qui a son siège à Bâle, doit rester dans l’ombre, tout comme celui de son dirigeant du « Council on Foreign Relations. Ces médias ne voient pas plus d’intérêt à relayer ce que l’historien Giacomo Preparata a décrit dans son livre « Hitler propulsé par une conjuration – Comment le Grande-Bretagne t les USA ont fait naître le troisième Reich : comment les USA et la Grande-Bretagne ont permis et favorisé le réarmement de l’Allemagne dans les années 1920, la montée du parti nazi, les aventures militaires de Hitler jusqu’à l’opération Barbarossa, la croisade contre l’Union soviétique pour, au dernier moment, c’est-à-dire le plus tard possible, grâce à l’opération Pearl Harbor, reprendre les choses en mains et, avec Dresde, Hiroshima et Nagasaki, montrer au monde qui était le maître. L’ouvrage « La collaboration. Le pacte d’Hollywood avec Hitler » de Ben Urwand a droit au même mépris. Hitler joue aujourd’hui le rôle du grand méchant dont a dérivé les caricatures de Milosevic et d’Assad. Voilà un empire qui se croit obligé de combattre partout dans le monde des petits Hitler jaillissant du sol, alors que c’est lui qui a suscité Hitler : cela dépasserait toute vraisemblance.

A propos d’Anthony Sutton, qui a écrit « Wallt Street et l’ascension d’Hitler » : il est également l’auteur de « Wall Street et la révolution bolchévique » : cela vaut peut-être la peine de la relire, 100 après l’événement.

 

Conclusion

Ce ne sont ici que quelques exemples d’informations fallacieuses : la Yougoslavie, l’Iraq, la Palestine, la Libye, la Syrie et d’autres pays qui font l’actualité où il s’agit de faire passer des intérêts géostratégiques avec une violence inouïe, en sont remplis. Les diabolisations pour justifier la guerre y tiennent un rôle de premier plan. La guerre intérieure, le démontage des conquête sociales et des droits démocratiques dans le cadre du projet néolibéral reposent également sur des représentations trompeuses. Songeons aux attentats sans fin qui sont en général attribués à des islamistes, la plupart du temps « liquidés » ce qui empêche toute enquête judiciaire.

Pourtant le thème des informations fallacieuses commence à irriter les médias dominants. Ils craignent de plus en plus que l’on découvre le pot aux roses. Dans une interview accordée par Torn Buhrow, dirigeant de la télévision allemande WDR, à la feuille financière « Conversation de terrasse à Düsseldorf » le 24 juillet 2017, est claire : toute forme d’élucidation qui dévoile la propagande des médias dominantes est perçue comme un danger par les médias dominants car elle leur retire le monopole de la distinction entre la réalité et la fiction. C’est exactement à cela qu’ils pensent quand ils disent « toute forme d’information fallacieuse est dangereuse. Ces informations fallacieuses étalent une réalité trafiquée qui, au bout du compte, influe sur le pouvoir de décision ». Dans le vocabulaire de ceux qui nous gouvernent, le terme « Fake News » est donc synonyme de « clarification ».

Les informations fallacieuses ne sont rien de neuf, elles font partie du système de pouvoir. Ce qui est nouveau, c’est le mot, le concept. Quand nous avons pris conscience de ce que nous vivons dans un système régi par une mafia globale, nous ne nous étonnons plus quand elle dit « être tenue à la vérité » alors qu’elle sait pertinemment qu’elle fait là de la propagande.

Relisons la feuille 23, datée du 18 août 1944, du ministère de l’éducation populaire et de la propagande du Reich, dirigé par Goebbels : Kurt Neven DuMont, éditeur de la Kölnische Zeitung (aujourd’hui le Kölner Stadt-Anzeiger) y reçoit du ministère de la propagande la Croix du mérite du Reich de première classe avec les épées. Ceux qui sont « tenus à la vérité » agissent dans la tradition de Joseph Goebbels.

Le procédé de manipulation délibérée est vieux comme le monde. Dans sa « Rhétorique » Aristote développe « l’art de convaincre » qui amène le contradicteur à prendre partir contre  propres intérêts (par exemple, le concept d’Europe, ambigu : l’Europe continentale et pacifique que nous souhaitons, et l’Union Européenne). Le vieux maître de l’art de la guerre, le Chinois Sunzi a lui élaboré des stratégies qui visent à faire diversion dans l’esprit de l’ennemi sur nos véritables intentions. (Exemple : quand le Parlement prend des décisions importantes juste avant les vacances ou au moment d’une importante compétition de football)

Un exemple-type de toutes les campagnes de falsification d 20ièmesiècle, c’est la création de la banque privée US Federal Reserve, présentée le 22 décembre 1913 après-midi, signée le lendemain.

L’information fallacieuse la plus emblématique du 21ième siècle est le 11 septembre qui nous montre comment le système journalistique a échoué, à moins qu’il ne nous révèle sa véritable fonction.

Il existe toute une boîte à outils pour répandre mensonges et falsifications :

–          L’omission (Arundhati Roy : ce sur quoi il faut mettre l’accent et ce qu’il faut omettre…)

–          Amalgames (par exemple l’Europe : unie, donc souhaitable…)

–          Sortir les choses de leur contexte, euphémismes

–          Tabous : quand celui qui pose la question est culpabilisé, voire diffamé

–          Prendre en compte les sots, les peureux et les hésitants

 

Les chances de faire passer des mensonges vraisemblables sont énormes (plus le mensonge est gros…). Qui veut admettre ce qui paraît incroyable, affreux, ce qui remet en cause la vision qu’il avait du monde jusqu’alors ?

Comme l’écrivit Kant : « Il est si confortable de ne pas être adulte… »

Aie le courage de te servir de ta propre raison !

*Conférence donnée au colloque organisé par l’Union Mondial des Libres Penseurs à Cologne le 1 et 2 septembre 2017 sous le titre « ‘Fake News’ – Un défi pour la défense de la libre pensée »